Napier, ville bordée par l'océan Pacifique, dans la Baie de Hawkes © DR

De la mâchoire de Māui à Napier, la belle en Art Déco

Depuis Auckland, suivez les panneaux « 1 South » et laissez la State Highway 1 vous entraîner vers le cœur de l’île du Nord. Après Taupo et ses paysages de carte postale, la route s’incline vers l’est et rejoint Napier, ville située au sud d’une vaste baie encore sauvage. En 3 ou 4 jours, cette escapade concentre tout ce que la côte est a de plus séduisant.

Tout commence bien avant la naissance de Napier. Le 5 avril 1769, l’Endeavour de James Cook jette l’ancre à Tahiti, dans la baie de Matavai. La mission officielle est scientifique : mesurer le transit de Vénus, événement rare qui passionne la Royal Society. Mais, dans une enveloppe scellée de l’Amirauté, Cook reçoit bientôt un second objectif, plus ambitieux et plus mystérieux : partir à la recherche de la Terra Australis, ce continent austral rêvé par l’Europe des Lumières. À l’époque, les savants imaginent une Terre nécessairement symétrique : on pense alors qu’aux masses continentales du nord doit répondre une grande terre au sud, indispensable à l’équilibre du globe.

Cook hésite : par où commencer cette quête ? La réponse se tisse à Tahiti, au fil des échanges avec Tupaia, conseiller des ari’i rahi (chefs) de l’île, Purea et Amo. Ce tahu’a, expert des routes océaniques, connaît les courants, les étoiles, les îles-relais, ces chemins invisibles que les anciens Polynésiens parcourent depuis des siècles. Il souhaite embarquer. Joseph Banks insiste. Cook cède. Avec Tupaia, l’expédition gagne un guide dont l’importance, immense, apparaît dans l’évidence de la traversée : Aotearoa, future Nouvelle-Zélande, se révèle au bout des routes anciennes.

Le HMS Endeavour en vue des côtes de Nouvelle-Hollande (Future Nouvelle-Zélande). Peint par Samuel Atkins en 1794.

En octobre 1769, les contours de l’île du Nord se précisent chaque jour. Le 15, l’Endeavour entre dans une large baie dominée par des falaises blanches et abruptes. Les tribus māories  l’appellent Te Matau a Māui, l’hameçon de Māui. Dans la tradition polynésienne, ce demi-dieu aurait pêché un poisson géant, devenu l’île du Nord, et la baie de Hawke, l’endroit où demeure son hameçon. Là où la pointe la plus avancée s’enfonce dans la mer, le lieu porte un autre nom : Te Kauae a Māui, la mâchoire de Māui.

Les premiers contacts avec les habitants de la baie sont tendus. Tiaia, jeune serviteur de Tupaia, est enlevé par des guerriers, sans doute intrigués par la présence de ce jeune Polynésien parmi ces navigateurs venus sur une pirogue sans balancier. L’épisode se termine sans tragédie, mais Cook baptise le cap de cet incident : Cape Kidnappers. Le nom est resté, chargé d’une double mémoire, européenne et māorie. Aujourd’hui, le promontoire est aussi un sanctuaire : environ 3000 couples de fous de Bassan y nichent. Depuis 2018, il porte officiellement un nom double — Cape Kidnappers / Te Kauwae-a-Māui — réaffirmant l’épaisseur de son histoire.

La route entre Taupo et Napier, bordée de genêts © SMILE

Dans l’écrin de cette baie se trouve Napier, à environ 4h30 de route d’Auckland. On y arrive après les eaux bleues du lac de Taupo et les contreforts du mont Ruapehu, entre collines et genêts jaunes en été. Le voyage peut être long après un vol international : mieux vaut, avec des enfants, couper la route par une nuit à Taupo, base famililae et sportive,avant de rejoindre l’atmosphère océanique de Napier et ses plages balayées par le vent.

Il y a cent ans, Napier n’était qu’un paisible port sur la terre d’Ahuriri, achetée par la couronne britannique en 1851. Le port devint vite une porte d’entrée régionale, exportant viande, laine et bois. La ville prospéra jusqu’à ce matin du 3 février 1931. En quelques secondes, le sol se déchira. Avec sa magnitude de 7,8, le séisme de 1931 reste l’un des plus meurtriers de l’histoire néo-zélandaise récente. Les façades s’effondrèrent, les rues se fendirent, la mer se retira, tandis que le littoral s’éleva de plus de deux mètres. Le chaos, la poussière, les incendies, les cris : pendant deux minutes trente, la ville bascula dans l’apocalypse. À Napier et dans les bourgs voisins, 258 personnes périrent. 

Temperance General Insurance, construit en 1936 ©DR

Puis vint la renaissance. Les architectes choisirent de rebâtir Napier dans le style Art déco, alors au sommet de la modernité. En moins de deux ans, la ville revint à la vie dans un éclat de lignes géométriques, de motifs floraux, de façades pastel. Aujourd’hui encore, Napier déroule ce décor unique : le Daily Telegraph Building, joyau rose et vert menthe, le Masonic Hotel dans sa sobriété élégante ou les néons rétro de la National Tobacco Company. 

Chaque année, l’Art Deco Weekend transforme d’ailleurs la ville en scène vivante des années 30 © SMILE

Partout les échos des années 1930 semblent résonner entre deux rues. Chaque année, l’Art Deco Weekend transforme d’ailleurs la ville en scène vivante : voitures anciennes, robes à franges, jazz, champagne et lumière océane.

Coucher de soleil sur les bâtiments des années 30 du centre-ville de Napier ©DR

Ce charme se découvre au rythme des plaisirs simples : petit-déjeuner en terrasse, marché des fermiers le samedi matin entre Memorial et Clive, flâneries sur Marine Parade, balades à pied ou à vélo le long des plages de galets, ponctuées de bois flottés aux formes fascinantes qu’il est interdit de ramener, biosécurité oblige.

 

Golf de Kauri Cliffs, parcours mythique de l’île de nord © Cape Kidnappers

À quelques kilomètres, d’autres expériences s’imposent. Les amateurs de golf peuvent s’offrir le mythique Kauri Cliffs, dessiné par Tom Doak, au bord des falaises de Cape Kidnappers : un parcours spectaculaire, après une longue traversée de la ferme d’élevage, comme une montée en pression. 

Les amoureux des vins trouvent dans la région l’un des plus beaux terroirs du pays mis en valeur par Craggy Range, Te Mata Estate, Trinity Hill, Esk Valley, domaines qui signent des dégustations mémorables.

 Vue panoramique sur la région viticole de Hawkes Bay, depuis le sommet de Te Mata ©DR

Enfin, au sud de la baie, la campagne se déploie en collines rondes piquetées de moutons jusqu’à un lieu au nom vertigineux : Taumatawhakatangihangakoauauotamateaturipukakapikimaungahoronukupokaiwhenuakitanatahu. Derrière ces 85 lettres se cache une histoire : celle du chef māori Tamatea, endeuillé par la mort de son frère et jouant chaque matin un air funèbre au kōauau (flûte maorie), au sommet d’une colline. Le nom peut se traduire comme le lieu où Tamatea, aux jambes conquérantes et dévoreur de terres, joua de la flûte pour son frère défunt.

Quand la mâchoire de Māui aura livré tous ses secrets, la route pourra continuer vers Wellington. Une demi-journée de voiture suffit pour rejoindre cette capitale attachante, porte d’entrée vers l’île du Sud. Un autre voyage, une autre histoire à venir.